Comme un grand nombre de personnes (à en juger par la récurrence des propositions de mon Google Now) je viens de terminer la série 13 Reasons Why et j’ai décidé d’y aller de ma petite critique et de jeter un pavé dans la mare. Car si j’ai été complètement scotchée par la forme de la dernière-née de chez Netflix, je dois avouer que j’ai un peu plus de mal avec le fond. Mais commençons par le commencement s’il vous voulez bien. (Cet article contient du spoiler en quantité. Vous voilà prévenus.)
13 Reasons Why, c’est l’histoire d’Hannah Baker une adolescente Américaine de 17 ans qui décide un beau jour de s’ouvrir les veines dans sa baignoire. Ambiance. Mais avant de commettre LE geste ultime, elle décide d’enregistrer 13 messages sur des cassettes audios, destinées à chacune des 13 personnes qui l’ont poussé à se saigner à mort.
Voilà pour le pitch. C’est simple et violent mais efficace.
13 Reasons Why, c’est le genre de série qui se dévore en un week-end. De celle qui empêchent de fermer l’œil de la nuit – « aller, encore juste un épisode » – aussi fascinante que dérangeante, et diablement efficace.
Les acteurs sont jeunes (très jeunes) mais incontestablement talentueux. Et malgré ce que j’ai pu lire à plusieurs reprises, les personnages ne sont pas si caricaturaux. Ils dépeignent au contraire assez bien l’Amérique, d’une part, avec cette pression socio-familiale sur l’importance d’accéder au college (l’université) coûte que coûte, d’autre part avec cette forme de « bienséance », qui fait qu’aucun parent ne puisse ne serait-ce qu’envisager que son enfant puisse être lié de près ou de loin à un suicide. Et puis ces valeurs d’éducation tellement américaines, où des gamins à peine pubères sont traités comme des adultes par des parents tellement focalisés sur le « bien faire » qu’ils en oublient leur rôle éducationnel.
L’Amérique, donc, et la jeunesse hyper connectées, l’enfance Facebook et Instagram, des gamins surexposés à des outils qui les dépassent, paumés, tiraillés entre quelques rares sursauts de bon sens (entre deux poussées d’hormones) et un effet de groupe dévastateur, appuyés par la technologie qu’on connait, et les dérives qu’elle implique.
Un sans-faute dans le casting et dans le jeu des acteurs, donc, et à mon sens, un portrait certes peut-être un peu facile mais assez vérace de la jeunesse américaine. Ajoutez à ça une playlist 80’s efficace (The Cure, Joy Division,..), un montage dynamique et cohérent (sauf peut-être le fait qu’une gamine née en l’an 2000 enregistre des message sur cassette audio plutôt que sur je-ne-sais-quelle appli de son iPhone7, mais passons) et bim ! Ça marche ! Oui, mais. Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le fond, et sur certains choix du scénario.
source : Netflix
La vengeance, utile ?
Le premier point qui m’interpelle, c’est cette volonté de vengeance de la part d’Hannah, via le message sur ces cassettes. Car si ces enregistrements sont officiellement présentés comme une « explication des raisons qui l’ont poussé à se suicider », je ne peux m’empêcher de voir, dans cette façon méthodique et chronologique de citer ceux qui ont influencé son geste, une forme d’énumération de coupables. Et en s’adressant directement à eux, elle cherche à les faire culpabiliser, à pointer le fait que si leur attitude avait été différente, elle serait peut-être toujours là. Cette façon de faire me parait particulièrement problématique, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord parce que la série semble aussi s’adresser à des ados, dont certains sont peut-être en train de traverser une période compliquée, en décalage avec les autres du même âge. Montrer le suicide et la culpabilisation des “auteurs” comme solution à ses problèmes à un ado qu’on harcèle au quotidien ne me semble pas être un choix pertinent.
De plus, la souffrance est palpable parmi tous les protagonistes, mais certainement pas pour les raisons qu’on pourrait croire. Car finalement, ce qui leur fait le plus de mal n’est pas d’avoir agi d’une manière qui ait pu pousser quelqu’un au suicide, mais plutôt les conséquences des révélations que contiennent ces enregistrements. Certains ont peur que ça les empêche de recevoir une bourse de l’université, d’autres que leurs secrets soient révélés. Au final, les seules personnes qui souffrent vraiment sont les gens qui l’aimaient déjà, donc, et pas ceux visés par les cassettes.
Victim shaming.
Vous l’aurez donc compris, je suis partagée entre l’envie de crier au génie et d’encenser la série, et celle, comme je m’apprête à vous l’expliquer, d’hurler au scandale.
Le dernier épisode montre une gamine au bout du rouleau qui se rend chez le « conseiller » de son lycée. Elle craque et lui avoue assez clairement qu’elle pense au suicide. Premier point qui me fait hurler : le mec ne réagit pas, ou à peine. Quel exemple pour les jeunes qui regardent ? Comment faire comprendre à un gamin désespéré que non, il n’est pas inutile de se tourner vers un adulte pour recevoir de l’aide ?
Elle lui avoue finalement qu’elle s’est faite violer et là, franchement, j’ai failli tout arrêter et balancer mon ordinateur par-dessus bord : le conseiller lui demande «si elle n’était pas un peu consentante, quand même » ? Et quand elle lui dit non, il l’accuse à demi-mot d’être responsable du viol subit, vu qu’elle n’a- semble-t-il – pas dit non de manière assez claire, et ne s’est pas défendue. WHAT. THE. FUCK. NETFLIX ? What the fuck ?
Ce victim shaming omniprésent est vraiment un problème de société, et le montrer à la télé de la sorte est juste intolérable. Et peut-être que je radote, mais encore une fois, quel exemple pour les ados, pour les victimes ? Quelle image du “conseiller”, de “l’adulte réferrent” et sur le fond du problème, pourquoi la victime est-elle traitée comme responsable? (Et pas seulement dans la série d’ailleurs!)
source: Netflix
La scène de la baignoire est-elle utile ?
Dans le dernier épisode, après avoir envoyé ses cassettes et fais de l’ordre, Hannah s’allonge dans sa baignoire et s’ouvre les veines. La scène est terrible et intense. Mais est-elle vraiment utile ? Oui, à mon sens. D’ailleurs, je pense que c’est la meilleure scène de toute la série, parce qu’elle montre le suicide tel qu’il est: violent, douloureux, long, insoutenable. Choquant pour l’entourage, pour la personne qui retrouvera le suicidé. Et je trouve indispensable de montrer par quoi il faudra passer avant que la mort apporte la “solution” recherchée.
13 reasons why, une série pour les ados ?
Oui… mais non. C’est probablement un excellent média pour aborder le thème du suicide, cependant, je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait approprié pour un adolescent. Parce que notre expérience d’adulte nous a fait comprendre que les choses s’arrangent en grandissant, et parce que nous sommes capables de plus de recul sur les événements. Un adulte pourra facilement intégrer, digérer les scènes, comprendre que malgré ce qui se passe sur l’écran, le suicide n’est pas la solution. Pour un adolescent en revanche, en plein dans cette période, avec les problématiques que cela implique, le message n’est pas forcément limpide et j’irai même jusqu’à dire que certaines parties et la conclusion « vendent » carrément le suicide comme une solution.
Un gout d’inachevé
La série se termine de manière un peu abrupte et je regrette sincèrement que les scénaristes n’aient pas été plus clairs avec le sort de certains protagonistes, notamment le fameux violeur. Netflix aurait déjà parlé de faire une deuxième saison, mais je pense qu’entre le fiasco du victim shaming et cette impression tenace que la seule solution face à un groupe d’adolescents harceleurs est de s’ouvrir les veines, un message clair traitant des conséquences du harcèlement aurait été le bienvenu.
Vous l’aurez compris, donc, je suis partagée. Je ne vois pas vraiment de message positif. Je ne vois pas en quoi la série apporte une aide aux suicidaires ou ne met ne serait-ce qu’une pierre à l’édifice de la prévention (sauf peut-être en faisant de la lumière sur le phénomène et en ouvrant une fenêtre sur le dialogue.) C’est bien, mais c’est insuffisant, à mon avis.
J’ai aimé – adoré même – le côté « fiction » et « divertissement » mais je m’interroge encore sur le public cible et l’utilité pédagogique d’une telle fiction.
Et vous, vous avez vu cette série? Qu’en avez-vous pensé ? J’adorerais avoir vos retours et particulièrement celui de parents. Avez-vous regardé la série? L’avez-vous montrée à vos ados? Oui, non, pourquoi?